Le berger et ses moutons

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Pour accompagner votre lecture, cet extrait de « Animals »

Les moutons n’en pouvaient plus.

Ils ne supportaient plus le berger et ses chiens.

Il leur fallait grimper de plus en plus en haut dans la montagne où l’herbe était plus rare.
Il leur fallait parcourir de plus en plus de kilomètres pour trouver leur pitance.
Pourtant, il fallait aux brebis produire toujours plus de lait, et malgré le froid de la nuit en altitude, les moutons étaient tondus de plus en plus souvent.

Le troupeau était important, un millier de têtes environ. Une petite vingtaine d’entre eux étaient privilégiés, essentiellement de vieux béliers, qui avaient droit à des rations de foin et à de l’eau sans avoir à se déplacer jusqu’au ruisseau.

Ils restaient autour du berger, allant voir leurs congénères pour leur dire combien ce berger était bon, et qu’il fallait faire des sacrifices pour le bien-être du troupeau et qu’il fallait penser aux générations futures, aux petits agneaux, et donc produire plus en mangeant moins.

Certains, dans le troupeau les jalousaient, d’autres les admiraient, et faisaient tout pour leur être agréables, espérant se faire bien voir du berger, et avoir une bonne place dans la bergerie.

Les chiens surveillaient, aboyaient, et ramenaient vers le troupeau les moutons qui voulaient échapper au sort qu’on leur réservait.

Mais  l’animosité grandissait entre le berger et les moutons, et au sein de la majorité bêlante, on vit apparaître des groupes de quelques individus récalcitrants.

Ils commençaient à s’organiser en petits groupes de moutons indignés, menaçaient de faire la grève de la faim.
Certains s’étaient même jetés du haut des rochers par désespoir.

Mais bientôt, aurait lieu l’élection du nouveau berger.
Ils allaient pouvoir se défaire de leur tyranneau.
Certes ils auraient toujours un berger, il y aurait toujours les chiens, mais les béliers favoris du berger ne resteraient pas tous en place et ils auraient peut-être un meilleur sort.
Ils resteraient moutons, mais seraient un peu mieux traités.

Le berger était conscient de son impopularité, il avait pendant toute la saison d’alpage favorisé un petit groupe de vieux mâles, et le gros du troupeau n’était plus aussi docile malgré les chiens et sa garde rapprochée.
Les moutons semblaient avoir des doutes sur les capacités réelles du berger qui avait amené le troupeau au bord de la catastrophe.
Hormis les suicides, il y avait eu beaucoup de moutons malades, et le berger voulant réduire les frais de soins pour faire davantage de profits, n’appelait jamais le vétérinaire sauf pour ses favoris.
Il y avait eu cette année beaucoup de moutons morts…

Le berger risquait de perdre sa place, il fallait regagner la confiance du troupeau.

Alors, il eut une idée géniale, il fit venir le loup dans la vallée voisine, ce loup à coup sûr ferait des victimes innocentes en dévorant quelques agneaux, et lui, viendrait en sauveur en abattant ce loup qui était une menace pour son troupeau.

Le berger leur affirma avec conviction que la menace était grande, que les loups étaient partout, et qu’il fallait lui faire confiance. Lui seul était en mesure de contrer cette menace, et aucun autre berger serait incapable de les protéger.

Il fit une longue traque, ses moutons étaient informés minute par minute par les rapaces qui survolaient les lieux et venaient leur raconter avec moult détails toute l’horreur et la sauvagerie de l’atroce tuerie, et rapporter les faits et gestes du berger.
Les moutons étaient tous rassemblés, apeurés.

La tuerie des agneaux dans la vallée voisine, les avait traumatisés. Ils pensaient que les victimes auraient pu être leurs enfants.
Tous encourageaient le berger qui se battait pour leur sécurité.

Le berger, promit aux moutons de les protéger davantage. Il doublerait le nombre de chiens, et les moutons applaudirent.

Il ferait construire des murs de pierre hérissés de fils barbelés, et les moutons applaudirent.
Il pucerait tous les moutons pour leur bien et ceux-ci devraient se soumettre à trois contrôles quotidiens dans des portiques de sécurité, sans oublier les contrôles inopinés que les chiens pourraient effectuer à chaque instant.
Le berger leur dit que certains moutons ayant le museau noir pouvaient très bien être des loups déguisés, et les moutons applaudirent.

Ils se disaient que n’ayant rien à se reprocher, ces contrôles ne leur seraient pas préjudiciables.

Ils ne pourraient plus se déplacer comme bon leur semble, les murs les empêcheraient de jouir de la vue sur la belle vallée, mais qu’importe, ils seraient en sécurité.

Leur berger était décidément un bon berger.

Comment avaient-ils pu penser une seconde à s’en débarrasser ?

trouvé sur le web

©Pierre Grandmonde 25 mars 2024

Un commentaire

  1. bleufushia · mars 26

    Fable politique d’une grande clarté d’évocation. Merci de ce rappel salutaire (encore que je ne pense pas être typique du mouton de base satisfaite de mon enfermement, mais leur matraquage idéologique est permanent, relayé 24h sur 24 par les merdias, et force est de constater que ça marche !)

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