Paul Auster est mort

C’est par ces quatre mots que Lili m’annonça le décès de ce grand homme alors que je m’affairais à la cuisine.
Je n’ai pas été surpris, je le savais malade quand, il y a quelques mois, son épouse, Siri Hustvedt avait annoncé vivre en Cancerland depuis que la présence du crabe avait été détectée chez son mari.
Mais quand même ça m’a fichu un coup.
Je venais de terminer la veille « Baumgartner » qui m’a beaucoup touché et que je devinais être son chant du cygne.
Un ouvrage où son double revient sur des épisodes de sa vie et son grand amour.
Il y a de très beaux passages dans ce livre que j’ai trouvé mélancolique, mais pas nostalgique, un livre apaisé d’un homme qui sait que ses jours sont comptés.
Un livre que j’ai beaucoup aimé malgré une fin que j’ai trouvée un peu décevante, mais comment lui en tenir rigueur…

Paul Auster est pour moi un auteur majeur du dernier demi siècle.
L’un des rares dont j’ai relu certains ouvrages (« Léviathan » « La musique du hasard » « Le voyage d’Anna Blume »…)
Anna Blume qui revient dans son oeuvre ultime.

Je remercie Arnaud Viviant de m’avoir fait découvrir Paul Auster dans les années 90.
Avant d’avoir la notoriété qu’apporte un siège à la tribune du Masque et la Plume, jeune journaliste aux Inrocks, il venait régulièrement parler littérature dans l’émission de Bernard Lenoir, déjà sur France Inter.
Et tandis que ce dernier me faisait découvrir les groupes de cette époque foisonnante qui pour moi constitue l’âge d’or de la musique rock, Arnaud Viviant venait causer livres, et il avait si bien parlé de « Léviathan »que j’ai été l’acheter, et j’ai adoré.
Je me suis alors précipité sur ses ouvrages précédents et Paul Auster est devenu mon auteur fétiche.
Jusqu’à la fin des années 90 après « Tombouctou » que je n’avais pas trop aimé.
Déjà je n’avais pas été convaincu par sa période cinématographique avec « Smoke » et « Brooklyn Boogie ».
Et puis j’ai arrêté de suivre sa production dans les années 2000.
J’ai du lire un ou deux livres empruntés à la bibliothèque, mais je n’y ai pas retrouvé la magie de ses premiers ouvrages.
Sans doute aussi était-ce du à la difficile période que je traversais à ce moment de ma vie.
Ce n’est pas toujours l’auteur qui est mauvais, c’est parfois le lecteur.
J’ai replongé dans « Austerland » lorsque Lili m’a offert, pour mon anniversaire 4321.
Un pavé, une écriture et un récit virtuoses, mais j’ai eu du mal à suivre car j’avais beaucoup de mal à me concentrer à cette époque, assommé que j’étais par les neuroleptiques.
Il faudrait que je le relise.
J’ai d’ailleurs très envie de relire ces bouquins que j’ai adorés il y a une trentaine d’années.

Récemment, peu avant l’annonce de son cancer, j’ai lu quelques romans que j’avais ratés dans ce nouveau siècle, et je me suis dit une nouvelle fois que c’est un formidable écrivain.
Avant de lire Baumgartner, je m’étais plongé dans le récit autobiographique « Excursions dans la zone intérieure » qui m’a beaucoup intéressé car il donne de nombreuses pistes sur ses romans, et une de mes lectures du moment est « Chronique d’hiver »

Je remercie le plus francophile des écrivains new-yorkais pour m’avoir fait passer de formidables moments, parmi mes plus grands plaisirs de lecteur, et j’appréciais beaucoup l’homme que j’ai découvert à travers ses récits autobiographiques et ses interviews.
Un bel homme qui respirait la bonté et l’humanisme, un de ceux qu’il me fait du bien de lire.
Un homme qui à un âge déjà avancé se souvient et s’adresse à l’enfant de 6 ans qu’il était :
« Tu t’inquiétais pour les malheureux, les opprimés, les pauvres, et même si tu étais trop jeune pour comprendre quoique ce soit de la politique ou de l’économie, pour saisir ce que les forces écrasantes du capitalisme peuvent infliger à ceux qui n’ont pas grand chose ou rien, il te suffisait de lever la tête ou de regarder autour de toi pour te rendre compte que le monde était injuste, que certaines personnes souffraient plus que d’autres, que le mot « égal » était en fait un terme relatif.

La vie était douce pour certains et cruelle pour d’autres , et ça te faisait mal au coeur. » *


Je pense que jusqu’au bout, il est resté fidèle à cet enfant qu’il était, un petit juif new-yorkais ne supportant pas l’injustice et qui par ses livres a rendu le monde plus beau.
Lui qui s’interrogeait souvent sur le sens de la vie, peut-être qu’à l’heure qu’il est, il a trouvé une réponse.

Pensées pour Siri.

*Excursions dans la zone intérieure

© Pierre Grandmonde 1er mai 2024


Un commentaire

  1. bleufushia · Il y a 16 jours

    Tristesse… Hasard, ma lecture du jour a été Baumgartner.
    Pour moi aussi, il fait partie des écrivains admirés et aimés. J’ai lu la plupart de ses livres écrits au siècle dernier, et certains plus récents. Un bel humain derrière ses écrits, comme ton évocation le souligne.
    Merci pour ton hommage.

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