Perfect days

Aujourd’hui, je vais vous parler du film « Perfect days » que j’ai été voir dimanche.
Pour commencer et entrer dans le vif du sujet avant de m’en écarter, je vous propose pour accompagner votre lecture les chansons de la bande originale qui débute avec la chanson éponyme de Lou Reed , l’une de ses plus belles compositions, si ce n’est la plus belle.

J’ai commencé la journée de bonne heure.
Je me suis levé 4 heures moins 20 après 4 heures 20 de sommeil.
En attendant que se lève le jour, j’ai effectué une petite méditation et j’ai lu.
Après le petit déjeuner, je suis allé au vide-greniers  du village*.

Ensuite, nous nous sommes rendus dans un « village » voisin pour aller voir le film dont il est question et pour lequel j’avais réservé les places.
J’avais noté la date lorsque je m’étais rendu dans ce cinéma pour profiter de l’opération
« Printemps du cinéma« , qui propose des places à prix réduit, et j’avais saisi l’occasion pour aller voir « La zone d’interêt ».
Un film que j’avais zappé lors de sa sortie, le sujet ne faisait pas partie de ma zone d’intérêt personnelle.
Mais, comme j’ai lu ensuite de bonnes critiques et qu’il a reçu l’Oscar du meilleur film étranger (où le réalisateur britannique Jonhatan Glazer prononça un discours très émouvant qui lui a valu une volée de bois vert de la part de « professionnels juifs du cinéma ») j’ai profité de cette opération commerciale pour aller le voir.
Une oeuvre que j’ai beaucoup appréciée.
Mais je ne vais pas parler ici de ce film glaçant sur la banalité du mal.
Ça mériterait un article, j’en avais caressé l’idée mais je n’ai pas eu le temps.
Trop de choses à faire, à lire, à voir…
Déjà, en même temps que j’écris cet article je fais confire de l’ananas.

Prometteur

Avant le film, un membre de l’association de relaxation vient dire quelques mots sur sa pratique et annonce qu’une séance aura lieu à l’issue du film.
Une programmatrice du cinéma présente l’oeuvre en m’apprenant, qu’au départ, c’était une commande de la ville se Tokyo faite à Wim Wenders pour des films publicitaires sur l’architecture de la ville et celle des toilettes publiques. Mais le réalisateur allemand a finalement décliné l’offre et décidé de faire un long métrage de fiction ayant comme cadre ces toilettes.
Les japonais accordent beaucoup d’importance à cet endroit, je le savais déjà, et ils sont à la pointe de l’innovation en la matière. Néanmoins, un laveur de toilettes, au Japon comme ailleurs n’est pas le symbole de la réussite sociale.
Je ne vais pas spoyeler le film, puisqu’il ne se passe effectivement pas grand chose.
Tout est dans la bande-annonce que je vous proposerai en fin d’article.

Projection proposée par le mouvement Heartfulness (la méditation du coeur)


Hirayama, (Kōji Yakusho – formidable -, prix d’interprétation à Cannes) le personnage principal a la cinquantaine, les premières images le montrent encore endormi sur son tatami, réveillé par le bruissement du balai de branches utilisé par une vieille dame pour ramasser les feuilles dans la rue.
(Et là, je me dis, heureux japonais qui n’ont pas à souffrir du vacarme assourdissant des souffleurs de feuilles des cantonniers de nos villes).
Il se lève, range son tatami, se dirige vers l’évier pour faire ses ablutions, se laver les dents, et tailler sa moustache. Il vit dans un petit appartement d’aspect spartiate et on devine qu’il ne dispose vraisemblablement pas de salle de bains.
Il vaporise de l’eau sur ses plantes d’intérieur, enfile sa combinaison bleue floquée The Tokyo Toilet.
Hirayama, sort de chez lui, sourire au lèvres en levant la tête vers le ciel.
On voit que l’immeuble où il loge est modeste.
Il se dirige vers le distributeur de boissons, en choisit une et entre dans sa petite voiture où est entassé son matériel de nettoyage. Il prend son temps, avale une gorgée de sa canette, et choisit une cassette.
Le film se déroulerait-il au vingtième siècle ?
A peine quelques notes de « The house of the rising sun » se sont égrenées, que mon questionnement se dissipe. Nous sommes à l’époque actuelle et Hirayama est simplement décalé dans ce monde ultra moderne.
Il arrive sur site, on remarque au passage l’architecture remarquable et toujours différente de ces toilettes publiques, (JC Decaux tu peux aller te rhabiller avec tes sanisettes !) il fait son travail consciencieusement et méticuleusement.
Il semble invisible pour ceux qui viennent se soulager et qui n’ont pas même un regard pour lui.
La seule personne qui lui montrera un peu de considération dans son travail est une touriste noire qui lui demande en anglais le fonctionnement de ces toilettes étonnantes, (elles sont en verre transparent et les vitres s’opacifient une fois la personne à l’intérieur), et il lui répond par gestes et mimiques.
A un moment, alors qu’il nettoie les toilettes d’un jardin public, il entend pleurer un enfant qu’il trouve assis sur les toilettes d’à côté, il le console et l’aide à retrouver sa mère qui le récupère sans lui adresser un merci ou même un regard. Elle n’a qu’un geste , elle essuie ostensiblement la main de son fils parce qu’elle a touché celle d’un nettoyeur de toilettes.
Il a un regard un peu dépité, mais ses zygomatiques se détendent vite car alors que le petit garçon se fait enguirlander par sa mère, il se retourne et lui adresse un sourire et un furtif geste de la main.
Tout le film est dans ce geste, celui d’un bonheur simple, la joie de voir le regard d’un enfant s’illuminer.
C’est un film d’expressions du visage, regards et sourires, où la parole est rare.
Rare puisque inutile.
Ensuite Hirayama se rend dans le jardin d’un temple, on le voit s’incliner devant le portail avant de s’asseoir sur un banc et de manger un sandouiche sous barquette plastique, une des rares concessions à la modernité.
Il sort un vieil appareil photo de sa poche et après avoir regardé l’arbre en face de lui, le photographie au jugé.
On le retrouve ensuite aux bains publics, où il n’adresse la parole à personne et se détend dans le jacuzzi sourire aux lèvres.
Il va boire un coup dans un endroit qu’il a l’habitude de fréquenter au vu de l’accueil chaleureux du serveur auquel il répond d’un simple sourire. Il n’a même pas besoin de commander sa boisson arrive accompagnée d’un tonitruant « santé » auquel il répond d’un simple hochement de tête.
On le voit ensuite déambuler dans la ville en vélo, et il va manger dans un boui-boui où le même scénario se déroule.
Et on le retrouve couché sur son tatami, les lunettes sur le nez en train de lire un roman de Faulkner.
Il pose son livre et ses lunettes à même le sol, et entre au pays des rêves, que Wenders montre en noir et blanc, (ce n’est pas le premier à utiliser ce procédé, mais ces séquences oniriques sont d’une grande beauté, floues et évanescentes j’y ai perçu, mais peut-être est-ce le fruit de mon imagination, des images de la journée écoulée au milieu de feuilles)

interlude :

Désillusion

Le lendemain, c’est le même scénario, un nouveau personnage apparait, son jeune collègue qui n’a pas la même conscience professionnelle que lui et exécute ce boulot un peu par dessus la jambe.
Cependant bien qu’il soit son responsable, qui plus est dans un pays où le poids de la hiérarchie se fait sentir, il ne lui reproche rien. Il ne lui parle pas non plus, ne répond même pas à ses questions. Il le regarde et sourit.
On a compris que Hirayama est un homme seul, sans épouse, sans amis, avec un boulot peu enviable qu’il effectue avec zèle, et pourtant il a l’air heureux.
Non, on sent qu’il est heureux.
La journée, d’une grande banalité, se déroule comme celle de la veille, et de même celle du lendemain.
Cependant, par petites touches Wenders nous montre d’autres choses, d’autres personnages, on entend au fil des jours défiler les cassettes, Patti Smith, les Stones, Lou Reed, les Kinks…
Le tout est très poétique très doux dans une économie de paroles. On voit que le modeste appartement ne dispose pas de cuisine, qu’il n’y a ni ordinateur, ni télé mais qu’il est empli de livres et de cassettes.
Wenders procède par ellipses et n’est pas démonstratif, laissant au spectateur le soin d’imaginer ce qui se passe entre deux séquences.
Le film est lent et contemplatif, et j’ai eu tout de suite beaucoup d’empathie pour ce personnage auquel je ressemble un peu par certains côtés.
Et puis un jour, alors qu’il rentre du boulot, un imprévu surgit avec l’arrivée inopinée de sa nièce Niko.
Il ne l’a pas vu depuis longtemps et ne semble pas de prime abord reconnaître l’adolescente qu’elle est devenue.
Là encore WW procède par ellipses, on devine que Hiriyama sait qu’elle a fugué, mais il ne lui pose aucune question. Il lui arrive cependant de répondre à ses questions à elle, notamment sur les rapports qu’il entretient avec sa soeur, la mère de Niko.
On devine qu’après quelques jours où il lui a laissé sa chambre, et l’a laissé l’accompagner à son travail, il a appelé sa soeur.
Celle-ci vient chercher sa fille en limousine avec chauffeur et lui demande incrédule si c’est vrai qu’il nettoie les toilettes.
Il est pourtant facile de voir qui est le plus heureux des deux.
Il a d’autres personnages, la petite amie de son jeune collègue, la patronne d’un petit resto où il a ses habitudes et qui entonne une version nipponne de « The house of the rising sun » de toute beauté, (et bien plus proche de l’original au niveau des paroles si j’en crois les sous-titres que ne l’est la version française interprétée par notre peu regretté (en tout cas par moi) Jojo national qui parle d’un pénitencier au lieu d’un bordel.)
Et ses visites chez le photographe car bien sûr Hirayama utilise encore des pellicules et va les faire développer. Lorsqu’il rentre chez lui, il regarde les photos, en déchire quelques unes et classe les autres dans un placard qui contient de nombreux cartons où ses photos sont classées par années.
Des photos d’arbres, ou plutôt des photos où la lumière se fraie un passage au milieu des feuilles.
Et les japonais ont un mot pour ça, komorebi et tel Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, je photographie moi aussi le komorebi :

C’est un des plus beaux films qu’il m’ait été donné de voir, empli de poésie et de délicatesse et d’une grande sensibilité.
Wenders magnifie la banalité du quotidien, bien aidé par son comédien extraordinaire au sourire magnifique.
Un film qui fait du bien à l’âme.


Après le générique de fin, une méditation fut donc proposée à celles et ceux qui le voulaient, et ce fut une belle expérience d’une dizaine de minutes de voir (façon de parler car c’est difficile avec les yeux fermés) environ 80 personnes méditer dans une salle de ciné.
Et ensuite une petite collation nous a été offerte, et la journée s’est déroulée de la plus belle des façons avec des retrouvailles familiales puis une virée à Marseille.

Un jour parfait, comme ils le sont souvent pour moi ces derniers temps.
(même quand je rate des recettes…)

J’ai aussi réussi un très bon plat*** ce midi.

Dhal de lentilles vertes accompagné de riz basmati d’une pita au fromage et en approuvé du vin d’oranges maison. 

*dans l’acception provençale du terme et non pas administrative qui fait que les villages d’antan, bien que dorénavant densément peuplés et dépassant allègrement la barre des 2000 habitants, n’en deviennent pas pour autant des villes mais restent des villages

** minute culturelle : Saviez-vous que le mot « spoiler » importé depuis quelques années dans notre langue est un mot d’origine française?
Les anglais nous l’ont emprunté au moyen âge (et nous l’ont rendu dans un sens légèrement différent.)
Notre mot est en réalité un gallicisme! Il provient de l’ancien français «espillier», lui-même issu du latin spoliare, qui signifiait «piller», «dépouiller». En France il deviendra spolier, tandis qu’outre-manche il prendra le sens de « déshabiller quelqu’un et plus précisément, l’ennemi, une fois qu’on l’a tué » puis « détruire, ruiner, endommager de manière à rendre inutile » et enfin gâcher.
A noter que nos amis québecois toujours prompts à fourailler contre les anglicismes, eurent-ils une origine française, proposent le terme de « divulgâcher »

*** librement inspiré d’une recette de Natacha

©Textes et photos**** Pierre Grandmonde 16 avril 2024
****(sauf photo de couverture ©style.corriere.it)

Un commentaire

  1. bleufushia · Il y a 26 jours

    Merci de prendre le temps du partage autour de ce film, très émouvant (je me suis fait la réflexion, pendant le film même, qu’il rentrait d’office dans ma liste – un peu vague – des très beaux films qu’on ne peut oublier. Une merveille d’émotion, avec un acteur lumineux, menant une vie rendue « parfaite », quoi qu’il arrive, par son attention aux autres et au monde. Et sa capacité à regarder et accueillir.
    Un vrai régal : l’accomplissement d’un des « 5 regrets des mourants », celui d’oser le bonheur.
    Osons donc !
    Tes photos sont super. Le contraste des arbres par rapport à Marseille est énorme… Mais it’s life 🥰
    J’ai ri à l’utilisation du mot « village » (private joke)

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