Chaaya Kropotkine (छाया Кропоткин)

L’histoire d’une chatte. (Et non pas de ma chatte, car accoler un pronom possessif à ce nom serait excessif, tant cet animal ne « peut au servage incliner sa fierté ».)

D’accord, ce n’est pas très original, tellement d’écrivains et d’écrivaines – j’ai un peu de mal avec ce féminin que je ne trouve pas très joli, (mais je fais avec ce que la langue propose même s’il m’arrive de recourir à des néologismes de mon cru) – de grand  (et moindre) talent s’y sont collés.
Mais ne parvenant pas à faire décoller l’audience de mon blog et étant en mal de reconnaissance, je vais exploiter le filon en espérant faire le buzz.
Bon, je rigole.
Peu m’importe, j’écris pour me faire plaisir ainsi qu’aux quelques personnes qui me suivent, et parce que le temps maussade m’incite, comme les chats, à cocooner  dans l’appartement.
Et me prend l’envie de vous narrer la petite histoire de Chaaya.
Et pour accompagner votre lecture je vous propose un peu de musique.




J’ai pratiquement toujours vécu en compagnie de chats. Des chats communs, dits de gouttière, toujours indépendants, rouquins, blanc et noir, tigrés, plus ou moins câlins  avec chacun leur caractère.
Il me serait difficile de les compter.
Sans doute une dizaine dans l’enfance, de faible longévité, certains empoisonnés, d’autres écrasés ou croqués par des chiens.

Ils allaient et venaient, chassaient les rongeurs dans le poulailler et le grenier et étaient de manière subsidiaire nourris de reliefs de repas et de mou que nous demandions au boucher et qu’il nous emballait dans du papier journal.
A cette époque déjà lointaine, on leur donnait rarement de la pâtée et encore moins des croquettes. On ne les amenait  pas davantage chez le véto pour les stériliser ou les vacciner.
En tout cas, ça se passait comme ça chez mes parents qui considéraient davantage les chats comme des animaux utiles que comme des animaux de compagnie, et si ils étaient bien traités ils ne vivaient pas vraiment dans la maison même si une place leur était faite près du feu lorsque dehors il faisait froid.
Néanmoins, je me suis toujours attaché à ces petits félins.

Plus tard, lorsque j’ai vécu en appartement, j’ai renoncé à avoir un chat qui pour moi doit pouvoir sortir à sa guise et suivre les instincts sauvages que lui ont légués ses ancêtres.
J’ai quand même par des concours de circonstances, vécu avec un puis deux chats  en appartement lorsque j’habitais la capitale puis dans sa proche banlieue. 
Ils ne cherchaient pas à aller dehors, de vrais chats d’intérieur qui quelques années plus tard s’adaptèrent très bien à la campagne où j’avais élu domicile et ils vécurent des jours heureux et  furent rejoints par quelques congénères.

Glasgow dit Pupuce

Comme nous laissions souvent la porte ouverte, et que j’avais installé une chatière, c’est vite devenu open bar pour les chats du quartier, et avant que nous n’ayons eu le temps de faire opérer la chatte, elle s’était fait engrosser, et nous nous sommes retrouvés avec une ribambelle de chats.

Maya et ses petits
Kripouille et Pépère
Panchiri

J’en ai vu mourir beaucoup, la plupart victimes de chauffards, je les ai enterrés dans le jardin où sous les arbres j’ai fait un petit cimetière.
Et j’ai versé beaucoup de larmes sur ces petits corps sans vie.
Au bout de 10 ans j’ai quitté la campagne et me suis retrouvé à nouveau en ville en appart.
Sans chat.
Jusqu’à ce que la chatte de ma belle-fille fasse des petits et que le petit-fils insiste auprès de sa grand-mère pour qu’elle en adopte un.

Voilà comment छाया  Кропоткин est entrée dans notre vie.
Je n’avais jusqu’à présent jamais cohabité avec un chat noir.
Si certains les craignent, ce n’est pas mon cas. Je ne suis pas superstitieux, au point d’avoir choisi de voir le jour un vendredi 13.
Bien au contraire, les chats noirs sont associés aux sorcières lesquelles sont devenues des égéries des féministes dont je fais partie.

Trouvé sur le ouèbe

Et bien sûr, le chat noir est également une icône anarchiste lorsqu’il est hérissé toutes griffes dehors.

Trouvé sur la toile

छाया, c’est du hindi, ça se prononce Chaaya et ça veut dire « ombre », et Кропоткин, c’est la transcription originale en cyrillique de Kropotkine, grand penseur anarchiste. ( Anarchiste d’extraction aristocratique tout comme cette petite chatte qui arbore une  petite touffe  de poils blancs  sur le poitrail, ainsi que sur le ventre, telle une médaille.) Mais c’est juste pour la forme, on l’appelle simplement Chaaya.

Chatte anarchiste


Elle est arrivée chez nous âgée de 5 mois en novembre 2016.

Bien qu’ayant grandi en appartement,  elle a très vite cherché à sortir.
Le balcon ne lui suffisait pas et dès que nous ouvrions la porte-fenêtre, elle grimpait sur la rambarde large de trois centimètres qu’elle arpentait en lorgnant les tourterelles. 
Comme nous sommes au deuxième étage, nous retenions notre souffle, effrayés par la perspective d’une éventuelle chute.
Mais, si j’ai connu des chats maladroits, force est de reconnaître que Chaaya est un as de l’équilibre.
Cependant, il a bien fallu se résoudre à la faire sortir.

J’avais envisagé le harnais au bout d’une laisse pour éviter qu’elle ne s’échappe, mais elle s’en est débarrassé en moins de temps qu’il m’en avait fallu pour l’en équiper. Mais elle est sagement restée dans le périmètre de la résidence qu’elle a arpenté tranquillement, se risquant parfois à aller dans le jardin de la villa voisine où traînaient d’autres chats.

Je l’avais bien sûr fait stériliser,tatouer et vacciner, et hormis parfois quelques miaulements courroucés pour des histoires de territoire, (du moins, c’est ce que j’imagine) elle menait une vie tranquille et demandait à rentrer au bout de quelques heures. Jamais elle ne passait la nuit dehors, nuit qu’elle passait en général couchée entre nos pieds.
Pour autant, elle n’a jamais été câline. Elle venait se frotter à nos jambes, mais n’appréciait pas qu’on la caresse. Jamais elle ne grimpait sur nos cuisses (j’ignore pourquoi l’expression courante est  « grimper sur les genoux ») lorsque nous étions assis sur le canapé ( elle venait parfois se poser entre nous) ni ne venait ronronner.
Elle ne sautait pas davantage sur les tables et contrairement à d’autres chats, nous laissait manger tranquillement sans venir réclamer pitance.
Si tous les chats sont adespotes, je n’en avais jamais connu un qui le fusse autant, hormis les chats des rues d’Istanbul ou d’Athènes.

Au bout de deux ou trois ans, Chaaya a commencé à vouloir sortir la nuit et elle insistait tant avec force miaulements qu’elle nous réveillait, et il fallait bien que je me lève et descende les deux étages pour lui ouvrir la porte. Je vous avoue que je ne me levais pas de gaité de cœur. A cette époque, je travaillais encore, et je dormais bien davantage que maintenant et cette interruption de sommeil m’irritait, mais le seul moyen de me rendormir était de la laisser sortir.
Ah comme je l’ai maudite par moments.
Même si je l’aimais beaucoup.
Et elle rentrait dormir au petit matin.
Jusqu’au jour où elle n’est pas revenue.

A ce moment circulait dans le quartier la rumeur des chats enlevés par des malfrats pour les labos. Nous ne l’avons pas vue pendant  plusieurs jours. Nous avons même apposé des affiches dans le voisinage .
Une habitante de la résidence voisine qui venait la nourrir lorsque nous nous absentions, nous a informés que Chaaya avait pris ses quartiers dans le poulailler situé sur le terrain d’une vieille villa à une centaine de mètres de notre domicile.
Elle a fini par rentrer, et pendant quelques temps, elle a vécu chez nous en faisant des fugues qui ne dépassaient jamais 4 jours.
Lorsqu’elle nous voyait dans le quartier, elle nous emboîtait le pas et nous suivait jusqu’à l’appartement.

Et puis un couple s’est installé dans la résidence. Ils avaient un chien qu’ils laissaient courir dans la cour, et celui-ci s’est mis à courser Chaaya qui s’est alors définitivement enfuie.
C’était en novembre 2021, et comme la vieille villa où elle allait se réfugier avait été détruite (c’est la grande mode par ici, lorsqu’une villa avec grand jardin est en vente, les promoteurs se ruent dessus pour l’acheter, rasent tout, bâtiments et arbres, pour construire un ou deux immeubles. La bétonisation va bon train, mais c’est une autre histoire…), elle a complètement disparu, et je ne l’ai pas vue pendant plusieurs mois.

J’arpentais le quartier régulièrement et souvent je l’appelle et j’imite (enfin j’essaie) son miaulement caractéristique (je me dis parfois que les gens doivent me trouver étrange) – et je suis sûr qu’elle reconnaît ma voix – mais je ne la voyais plus.
Certaines personnes me disaient l’avoir aperçue, mais il y a d’autres chats noirs dans le quartier.
J’ai commencé à la revoir, des rencontres souvent furtives sur un territoire assez vaste d’environ 200 mètres sur 100, (soit deux hectares si les souvenirs de calcul de surface ne me font pas défaut).

Le territoire de Chaaya, les points bleus sont ses différents refuges, le rectangle rouge la résidence où nous habitons

Parfois, elle venait vers moi, allant même, rarement, jusqu’à se frotter à mes jambes, mais le plus souvent, elle gardait ses distances. Je la voyais plusieurs jours, puis elle changeait de spot, et je pouvais être à nouveau plusieurs mois sans l’apercevoir.

J’avais pris l’habitude d’avoir au fond de mon sac des friandises qu’elle affectionne, mais parfois je la voyais derrière un portail et elle les dédaignait.
La dernière fois que je l’avais vue, c’était en novembre dernier, et elle m’avait complètement snobé, comme si elle ne me reconnaissait plus.
Et puis il y a deux semaines, alors que nous rentrions d’une balade où nous avions été contempler le coucher de soleil sur la mer et que la nuit commençait à tomber, j’ai aperçu une ombre furtive qui traversait la rue pour se planquer sous une voiture en stationnement.
J’ai appelé, elle nous a reconnus et elle est venue vers nous et est restée un quart d’heure à nous tourner autour, se frottant à nos jambes, mais au moindre bruit et au moindre geste, elle déguerpissait sous son abri. Elle nous a même suivis, mais arrivés à une centaine de mètres de notre résidence, elle s’est arrêtée.
Je l’ai revue le lendemain, et depuis, je la vois régulièrement,  pratiquement tous les jours et nous passons du temps ensemble à nous réapprivoiser.
Elle répond à mon appel, et même parfois elle guette mon passage.
Sauf les jours de mauvais temps comme aujourd’hui, un temps à  ne pas mettre un chat dehors, où je suppose qu’elle reste dans un abri qu’elle s’est trouvé.
Normal, quand il fait un temps de chien, ce n’est pas un temps à mettre un chat dehors.

J’aime bien notre relation, j’ai pris l’habitude de prendre un livre et nous restons ensemble une demi heure ou une heure. Elle reste à mes côtés,  s’éloigne lorsque quelqu’un s’approche, puis revient et repart guetter sur un muret ou dans un arbre.
Heureusement le quartier est calme,  il y a peu de voitures et quelques passants qui le plus souvent promènent leur chien.
Je socialise avec les habitants du quartier que jusqu’à présent je ne faisais que saluer, et qui sont intrigués de me voir avec la chatte. Certains ont déjà aperçu Chaaya dans leur jardin ou sur leur terrasse sans jamais pouvoir l’approcher, et je leur raconte notre histoire.

Chaaya est en bonne santé, son poil est beau et si elle mange volontiers une friandise, elle ne se rue pas dessus et ne semble pas avoir faim.
Je suppose qu’elle trouve de la nourriture et qu’elle chasse. J’aimerais qu’elle ne croque pas de zoziaux ni de lézards, mais je crois que c’est un voeu pieux.

Hier, j’ai réussi à lui caresser un peu la tête sans qu’elle essaie de me mordre, mais je reste sur mes gardes car elle reste très craintive et très vive.
Aujourd’hui il a plu toute la journée, j’ai quand même fait par trois fois le tour du quartier, mais elle n’a pas montré ses moustaches.
J’espère la revoir bientôt et si un jour l’envie lui prend de revenir chez nous, elle sera bienvenue, mais je suis content, elle a l’air heureuse de la vie qu’elle mène, libre d’aller à sa guise dans ce quartier dont elle semble connaître tous les recoins.

Un commentaire

  1. bleufushia · mars 27

    Je la connais, évidemment, cette histoire, mais elle est racontée de façon très sympa… Une vraie vedette 😘

    J’aime

Laisser un commentaire